L’INTERVIEW INCOMPRÉHENSIBLE D’ABDUL WA BENYAMIN

Publié le 10/09/2010 à 08:21 par kulehumour Tags : surréaliste humour écrivain

 

Franchement, pourquoi dois-je toujours brandir mon micro vers des cas atypiques ? La dernière fois, une pétasse nymphomane et névropathe dénommée XinabraE, morte sur le plateau télé (bien fait pour elle !) m’a empêché d’exercer mon noble métier de journaliste durant quatre ans ! Par erreur, on m’a interné là où cette salope devrait être enfermée depuis longtemps dans un asile psychiatrique. Voilà qu’une fois sorti de cet établissement de dingues, le rédac’ chef se propose de m’envoyer interviewer un autre gars à l’esprit fêlé : l’écrivain Abdul Wa Benyamin, auteur libano-juif d’expression française, à la plume nébuleuse et au discours hermétique. Vraiment, le boss se fout de moi comme de ses premières diarrhées.

-        « Bonsoir, Monsieur Abdul !

-        Bonsoir, jeune entité multichromosomique non végétale ni bestiale, mais néanmoins de chair et de sang

-        Quels propos poétiques! Un peu comme votre dernier opus sorti ce mois-ci, un gros pavé de 942 pages intitulé ‘Déboires infinitésimaux’. Au fait, que veux signifier ce titre ?

-        J’expose à travers ces vers libres l’inanité de certains problèmes que mes contemporains se permettent de qualifier de majeurs, alors qu’ils n’ont pas plus d’importance en réalité qu’une comète de fils d’araignée englués dans des poteaux télégraphiques

-        J’admire votre sens élevé de la comparaison. Et qu’est-ce qui vous a inspiré ce texte si profond (en murmurant : et si indigeste, en fait…) ?

-        La pornographie enfantine

-         ???!!!?

-        Cessez de me regarder avec des yeux de poulpe du désert de Gobi. D’aucuns racontent qu’il s’agit d’un fléau, alors que la solution au problème est simple. Une injection à base d’HCN dans les veines des souteneurs et le tour est joué

-        C’est quoi, HCN ?

-        Journaliste indigent d’esprit ! Où avez-vous suivi votre cours de chimie ? Aux plateaux rocailleux de la face cachée de la Lune ?

-        Non, ici sur Terre, dans un collège congolais

-        Quel Congo ?

-        Le plus gros des deux

-        Gros comme un atome de mercure enrobé dans du caramel indien…

-        (Chuchotements du journaliste : Très dérangé, Abdul !)

-        Que marmonnez-vous donc, jeune homme ?

-        Moi ? Oh, rien de spécial…

-        Rien n’a autant de valeur que l’Éternité du chant des pulsars

-        Hum… Mais revenons à votre ouvrage. Pourquoi aucune maison d’édition n’a accepté de l’imprimer ?

-        Ces béotiens constipés de la dure-mère ont trouvé mon style trop abscons à leur gout. Ils ne voulaient pas voir leur escarcelle dégarnie à l’issue de la vente d’un bouquin qu’ils s’imaginaient incertaine. Or j’en ai vendu des centaines…

-        Vraiment, où ça ?

-        Sur cet ensemble de machines interconnectées que vous appelez la Toile

-        En effet, je n’ai jamais vu de version papier de votre ouvrage. Celle que je possède est au format PDF. J’avoue n’y avoir rien pigé ! Tenez, page 34, vous écrivez : ‘Les chutes sanglantes de mes cheveux / assèchent l’inertie qui caractérise un tsunami souterrain’. Que veut dire ce charabia ?

-        Cet extrait fort compréhensible illustre à la perfection la tristesse de l’existé…

-        Et le ‘tsunami souterrain’ ?

-        C’est le conflit intérieur de l’être humain. Au-dedans, c’est agité, mais au dehors, tout est calme. D’où l’inertie

-        Qu’entendez-vous par ‘chutes sanglantes’ qui, par ailleurs, ‘assèchent’ ?

-        Une rouquine qui se rase la tête par dégoût de la vie manifeste son état de dépression. Par conséquent, au dehors, ce n’est plus calme : son mal-être transparait. Et l’inertie est asséchée, pour ne pas dire brisée. Vous avez vraiment l’inculture et l’ignorance comme compagnes, cher ami !

-        Pour vous, apparemment, tout le monde est ignare. Même les directeurs des grandes éditions

-        Même les docteurs ès lettres

-        Vous n’êtes pas un peu mégalomane, des fois ?

-        Au contraire. Mon humilité légendaire tient du goret décapité à l’aide d’un sabre laser

-        La Guerre des Etoiles vous met la tête dans les nuages…

-        Cessez de critiquer mes arguments verbaux, ça risque de faire des étincelles !

-        Oh, n’imaginez pas un seul instant que je mets en défaut votre lumineux génie dont l’éclat aveugle même à dix kilomètres à la ronde

-        Dois-je considérer ces mots enchainés comme une flatterie ferrugineuse ou une aquatique moquerie ?

-        En mélangeant le fer et l’eau, vous devinerez mes intentions

-        Votre sens de la repartie est plus mal ficelé qu’une momie inca attachée à un cactus norvégien sous un lac libyen rempli de colibris

-        Des oiseaux dans un lac libyen ??!!

-        Pourquoi pas ? Il y a bel bien des saumons verts sur les pics glacés du Brésil équatorial, non ?

-        (En murmurant une fois de plus : faut que j’en finisse avec cette interview). Heuh… Parlez-nous un peu de votre vie

-        Naissance à Tel-Aviv le 26 février 1961, six compagnes, huit divorces et aucune progéniture. Bref, un véritable cloaque de chamelle ayant subi une ablation des trompes

-        Rigolo et touchant en même temps…

-        Comment, petit impertinent ? Oser porter un jugement sur mes jours ?

-        Mais il n’y a…

-        Silence !!! Vos nombres d’années sur ce véhicule rond sur lequel nous marchons, respirons et déféquons n’arrivent pas à la cheville des miens. Et je vais vous le démontrer de ce pas… »

Dans un moment de distraction de ma part, mon excentrique invité me lança en pleine frimousse le pavé qui constitue son soi-disant chef-d’œuvre. Je perdis instantanément connaissance et trois dents, dont une cariée (ce qui annula d’office mon rendez-vous chez le dentiste qui ne me soutirera pas 60 $ de plus, ce mercanti). À mon réveil 12 h plus tard à l’hosto, j’appris avec soulagement que mon outrecuidant romancier venait de regagner le centre neuropsychiatrique où j’étais interné, chambre 712.